Le 20 juin dernier s'est déroulée au collège Gilbert Dru à Lyon, la soirée débat de l'association Pikler Loczy France qui avait pour thème "l'enfant dans sa 3ème année". Elle était animée par Sylvie Lavergne, psychomotricienne, que certains d'entre vous ont du découvrir dans le numéro de l'Assmat du mois de mai puisqu'elle signait alors un article consacré à la position assise chez les bébés.
Elle venait donc cette fois nous parler de l'enfant dans sa troisième année. Peut-être est-il besoin de rappeler, si ce n'est pas clair pour tout le monde, que nous parlerons donc d'un enfant entre 24 et 36 mois et non pas d'un enfant de 3 ans révolus. Si la soirée était ouverte à tout le monde, nous avons surtout parlé de l'accueil en collectivité.
La soirée a débuté par un "petit état des lieux" pour mieux connaître cet enfant que l'on a coutume d'appeler "un grand" dans un accueil collectif.
C'est donc un enfant qui a un certain nombre de connaissances et qui nous montre deux choses :
- Il se connaît de mieux en mieux
- Il connaît le monde de mieux en mieux
Cependant, il est encore dépendant d'un adulte car il ne peut pas se reposer sur ses propres forces en permanence. On peut d'ailleurs remarquer que le fait qu'on le considère comme un "grand" dans la collectivité est assez piégeant car il est moins pris en charge de façon individuelle. Il a pourtant encore besoin de nous. Il a besoin d'être soutenu, d'entendre parler de lui et le grand danger est de considérer qu'il n'a plus besoin de nous.
La grande nouveauté de cette troisième année sera qu'il se mettra à jouer avec les autres. Il a besoin de l'adulte pour l'aider à se tourner vers le groupe. L'adulte sert de filtre et d'accompagnateur pour qu'il fasse des expériences de groupe.
Il comprend le langage, la répétition. Il comprend le déroulement de la journée qu'il expérimente depuis deux ans : il est donc acteur d'anticipation. Il est capable de nous devancer dans les moments de repas, de soins...
Il est curieux, s'approprie le monde grâce au langage. Il est dans une dynamique relationnelle. Il est "partenaire". Il fait avec, avant l'adulte, il est dans le "moi tout seul". Mais il a besoin d'aide. Pour anticiper, il faut lui laisser le temps de vivre le temps présent.
Il sait s'occuper de lui. Il sait manger, se servir de plus en plus, aller aux toilettes et gérer sa fatigue (se mettre dans un lieu de repos).
Quand ses parents sont là, il est curieux de ce qui se raconte sur lui.
Il a encore beaucoup besoin de nos appuis, notamment de repères d'espace et de temps (où sont rangées ses affaires, sa place à table...) il lui faut une stabilité dans ces repères.
Dans sa 3ème année, l'enfant est au courant des règles et des limites. Il en est usager. Il a de l'humour. Il va jouer à transgresser. Dans ce domaine, il est acteur et donneur : il rappelle les règles. Il utilise bien le langage, interroge et cherche. Il propose du vocabulaire. Cela lui permet de se présenter parleur au monde pour être entendu. Il s'approprie le langage avec le retour que lui donnent l'adulte et ses pairs. Entre eux, ils se parlent, sont tournés vers l'autre, mais se revendiquent différents.
Le jeu symbolique est important pour comprendre le monde. C'est une mise en scène de soi. Il comprend le monde en le jouant, tout en restant dans son imaginaire. Il se connaît et il accède au monde par un intermédiaire, l'adulte qui devient un partenaire. Ils sont côte à côte.
Pour devenir autonome (en rappelant que l'autonomie c'est être dépendant de soi) il est important que l'enfant ait sous la main, les outils pour répondre au besoin qui vient.
Pour le repas, l'enfant doit pouvoir manger à l'échelle de ses trois ans, avoir une place à table. On notera que la socialisation se fait d'autant plus facilement que l'on est moins nombreux à table. Il vaut donc mieux des petites tablées, pas plus de 4 voire 2 x 2, ceci afin de respecter la singularité de chaque enfant.
Pour le change, il doit être individualisé. On peut proposer à l'enfant de ne plus monter sur la table à langer mais de le changer debout au niveau du sol, si il n'a pas la possibilité de monter seul sur la table à langer. Quand l'enfant ne porte plus de couches, ce n'est pas la peine de lui demander s'il a envie de faire pipi. Il peut gérer seul même si il y a des accidents. C'est son corps, pas le nôtre, et il doit pouvoir aller jusqu'au bout du processus. Pas de séances de pot, cela va sans dire !
En ce qui concerne le sommeil, on doit lui proposer un lieu de repos où il peut aller quand il veut. Ce lieu doit être différent du lieu où se situent les livres. Il doit pouvoir accéder au sommeil en autonomie. Il y aura au cours de la réunion une séance diaporama où l'on pourra voir des lits couchettes en accès libre. Des témoignages de personnes assistant à la réunion nous démontreront qu'il est possible de transformer une crèche en lieux de vie avec des lits installés dans la salle principale où l'enfant peut aller quand il veut.
La présence de l'adulte reste très importante. L'enfant a besoin de savoir quant on va s'occuper de lui. L'adulte redonne le scénario. En connaissant le scénario l'enfant accède à la notion de temps avec l'expérience très difficile des séquences qui donne l'information du temps avec son vocabulaire (avant, après...).
L'enfant a aussi besoin de nous pour qu'on le confirme dans sa personne. L'adulte est entre l'enfant et le monde. Cependant comme il fait beaucoup de choses seul, il est moins avec l'adulte notamment dans les soins. Afin de continuer à individualiser la relation on peut mettre en place un système "d'enfant du jour" : cet enfant peut par exemple aider à mettre la table ou toute autre proposition partenariale. Cela a pour effet de confirmer l'enfant dans ce qu'il sait faire et de le concrétiser en le tournant vers le monde. Chacun son tour, on partage la même tâche pour nous.
En ce qui concerne le jeu, on doit lui proposer des aires de jeux délimitées avec des objets pour "jouer à". Pour la dînette, il doit y en avoir peu en nombre (pas plus de 4 assiettes par exemple) mais beaucoup en variété. L'enfant a besoin de détail pour jouer. Il n'est pas nécessaire d'avoir beaucoup de fruits et légumes car l'enfant n'est pas capable de faire la relation entre le légume qu'on lui présente et ce qu'il trouve dans son assiette à table. Par exemple, il ne peut pas s'imaginer la carotte qu'il voit entière dans la dînette, en carottes râpées ou en rondelles. On peut très bien se contenter de lui proposer des bouchons de lait à la place: il faut juste lui donner ce qu'il faut pour son imaginaire. Plutôt que des fruits et légumes, on peut lui proposer des torchons, tabliers, nappe, rouleau à pâtisserie...
Il ne faut pas tout donner en même temps. On commencera l'année avec un minimum et on augmentera petit à petit.
On pourra aussi proposer des déguisements, des voitures, garages, des poupées avec de quoi les envelopper, des animaux avec des enclos (plus intéressants qu'une ferme), des jeux de construction. On peut aussi donner des objets plus insolites comme des palmes ou des lunettes de plongée. En fin d'année on pourra proposer des jeux de Memory.
A cet âge on peut mettre en place des activités à règles qui vont nécessiter un mode d'emploi : graphisme, peinture, jeux d'eau, encastrements.... Ces activités peuvent être proposées sur une table à hauteur d'adulte afin de protéger les enfants des assauts des plus petits (sur la table de la cuisine par exemple chez l'assistante maternelle), à deux enfants à la fois maximum. Pour le dessin par exemple on peut organiser le poste de "travail" en présentant peu de crayons et deux cases : une avec des feuilles vierges, l'autre vide pour recevoir les dessins de l'enfant.
Le coin lecture doit comporter peu de livres (6 livres sont suffisants) que l'on laisse à disposition jusqu'à ce que l'enfant ne s'y intéresse plus.
Quand on travaille en "inter-âge" il est important de préserver l'espace des bébés pour leur sécurité mais aussi des grands pour ne pas perturber leur durée de jeu.
On peut se rendre compte que la motricité n'est plus nourrissante pour un "grand". Elle est intégrée dans le jeu. C'est pour cela par exemple que les enfants cherchent à monter sur les toboggans avec des jouets ou des objets dans la main alors que généralement on leur interdit. Pour un enfant dans sa troisième année, le seul fait de monter sur le toboggan ne l'intéresse plus. Il a besoin de l'investir de manière différente et d'inventer un univers dans lequel il intègre le toboggan. Il est donc intéressant de le laisser faire. On peu simplement instaurer certaines règles pour que cela ne devienne pas dangereux par exemple interdire le jet d'objets.
Pour terminer ce paragraphe "jeu", on peut dire que l'adulte ne doit pas être distributeur de jeux, ceci pour ne pas créer de dépendance. Le rôle de l'adulte n'est pas de jouer. Il est d'aménager et de mettre dans l'aménagement les bons outils du jeu. Reprenons l'exemple de la dînette : les assiettes sont présentées rangées, la table n'est pas mise. Les jeux ne sont pas scénarisés par l'adulte.
Le rôle de l'adulte est aussi de remettre en place les jeux lorsque ceux-ci ne sont plus investis.
Ainsi s'achève mon compte-rendu. Cette réunion a été très intéressante et bien qu'elle concernait surtout l'accueil collectif, j'ai pu en tirer des bénéfices dans ma pratique personnelle en adaptant certains conseils.
En ce qui concerne le passage aux toilettes par exemple, je ne demande plus systématiquement aux enfants s'ils ont envie de faire pipi. Je les laisse gérer leur besoin de bout en bout. Et à mon grand étonnement, ça a immédiatement changé leur comportement. Alors qu'avant il m'annonçait qu'il voulait aller aux toilettes même si ils savaient se débrouiller sans moi, maintenant ils y vont seuls sans forcément m'avertir. Ils ont pris conscience que ça les concernait eux et qu'ils pouvaient se débrouiller sans moi. Ils ont acquis une totale indépendance. Je me sens encore obligée de leur demander d'aller se soulager avant de partir en ballade mais je me soigne !
Pour mes aires de jeu, j'ai fait quelques modifications. Avant pour ma dînette, j'avais mis les fruits et légumes bien en évidence sur une étagère et j'avais rangé les assiettes sur un égouttoir à l'intérieur de la mini-cuisine de nos amis les suédois. Je pestais souvent intérieurement car j'avais remarqué que leur jeu consistait surtout à tout mettre par terre, sans plus. J'ai modifié l'aménagement, mis les assiettes plus en évidence sur l'étagère, mis les fruits à l'intérieur de la mini-cuisine, rajouté des éléments de la vie courante : éponges torchons... tout en allégeant le nombre des éléments identiques (chose que j'avais déjà fait mais visiblement pas assez). Depuis ils s'amusent vraiment à mettre la table et surtout ils jouent ensemble (à se donner mutuellement à manger par exemple).
Prochaine étape : alléger la bibliothèque ! Là j'ai encore du boulot. J'ai déjà remisé quelques livres mais il y en a encore trop dans le coin lecture.
En ce qui concerne les activités à règles, la réunion m'a enlevé une sacrée épine du pied. J'avais effectivement un problème de gestion de ces moments qui étaient souvent perturbés par l'arrivée inopinée d'un mini troll venant gêner le travail des grands. Écoutant les conseils montessoriens, j'installais ces activités sur une table basse et comme je n'avais rien pour séparer physiquement les moyens et les grands, il était fréquent qu'un dessin soit abîmé, qu'un jeu ou une activité soient prématurément interrompus par un petit razmoket maitrisant tout juste la station debout. Pour résumer, j'avais un problème de gestion de l'espace entre les grands et les moyens dans ces moments là. J'avais même posé la question sur un réseau social à une spécialiste Montessori qui m'affirmait que les enfants pouvaient comprendre et qu'à force de leur dire, les moyens ne viendraient plus embêter les grands. Oui sans doute... sauf qu'entre temps, les grands, n'ayant pas la possibilité d'aller au bout de leur projet, démissionnent. Ne pouvant pas jouer tranquillement, ils se mettent souvent à produit du "moteur" et tout le monde s'énerve parce que personne ne trouve sa place ! Voulant trop bien faire, voulant trop être dans le "professionnel", j'avais juste oublié qu'à l'âge où on est capable de faire des activités à règles, on est aussi capable de se hisser sur une grande chaise et de travailler sur une grande table ! Je dis donc merci Sylvie. C'est peut être bête mais j'avais besoin qu'on me fasse redescendre sur terre.
Pour l'histoire des toboggans sur lesquels on peut emmener des jeux, j'ai un peu plus de mal. Oui j'avoue, ça faisait partie des règles de la maison : on ne monte pas sur le toboggan avec quelque chose dans la main ! D'ailleurs, lorsque j'ai commencé à fréquenter le relais par exemple c'était une des règles instaurées par l'animatrice (pourtant piklerienne elle-aussi). Par contre je comprends tout à fait ce point de vue. Aussi plutôt que d'abandonner totalement cette règle, disons que je vais essayer de l'aménager et n'autorisant que les objets sans danger, à condition que l'enfant soit bien installé dans sa motricité et qu'il n'y ait pas foule sur le toboggan. Ça m'a de toute façon permis de prendre conscience des raisons qui conduisent à ce jeu.
Pour finir, je voulais vous donner les dates et les thèmes des prochaines interventions "Pikler" sur Lyon :
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A très bientôt : j'ai d'autres choses à vous raconter, notamment que j'ai une petite place qui se libère pour la rentrée !
Bonjour
RépondreSupprimermerci pour ce superbe billet
je souhaite te demander si tu aurais l'article paru dans le journal Ass Mat de Sylvie Lavergne concernant la position assise des bébés?
merci
joelle
Oui j'ai ça. Envoie-moi ton adresse mail en me rappelant l'objet à l'adresse fc.trompette@laposte.net . Bonne journée.
SupprimerMerci, c'est passionant, comme d'habitude. Et ça fait écho à ce qu'on a entendu à la réunion Pickler à Marseille (dont je n'ai pas eu le courage de faire un compte rendu.)Moi aussi j'ai eu besoin qu'on me rappelle la séparation des espaces. J'en ai retenu que tout petits ils ont besoin d'un espace assez clos, tant qu'ils découvrent leur corps, qu'à partir du moment où ils commencent le 4 pattes, ils ont besoin de grands espaces à explorer, mais que dans la troisième année, c'était important de revenir à de petits modules. J'ai donc "rétrécit" mon coin dînette en bougeant la bibliothèque, pour qu'il ne soit plus grand ouvert sur le salon et pour que les petits vadrouilleurs n'embêtent plus les grands "constructeurs". Autre travers de ma part : j'avais tendence à beaucoup valoriser et/ou interpréter les productions des enfants, ils nous ont rappelé que, sauf si c'est un enfant qui manque de confiance en lui, nous n'avons pas à le faire. Il faut qu'il joue pour lui et non pour nous sans attendre le "bravo". Et s'il nous sollicite, préférer le "tu es content de ce que tu as fait ?" au "C'est très beau". (ils faisaient référence à Arno Stern). Pour les légumes, je suis moyennement d'accord. Ca dépend les enfants, mais là, j'accueille 2 petits qui ont tout juste 2 ans et qui font le lien entre une carotte et ce qu'ils mangent. Oui, ils sont aussi capables de "faire semblant" avec des bouchons, mais ils ont un réel plaisir à faire manger une pomme ou une banane à leurs poupons. Et puis, dans la démarche de Montessory, le beau a aussi son importance je trouve. Proposer une joplie vaisselle, avec des beaux faux gateaux qui semblent vrais, ce n'est pas la même démarche que l'assiette neutre et le bouchon, mais c'est intérressant, ça incite à faire de jolies "mise en scène", dresser de belles tables, et beaucoup d'enfants sont déjà là dedans avant 3 ans.
RépondreSupprimerUn autre truc qui me revient. Moi aussi je pense que j'ai trop de jouets et qu'il faut alléger. Mais je me rappelle que l'intervenante aprlait de l’auto-régulation de l'attention, et de la gestion des conflits entre eux. Et elle disait qu'il fallait que les jeux soient en quantité suffisante, par exemple, que s'il y a 6 enfants, il fallait qu'il y ait au moins 6 blasses, ça m'avait surprise. Elle insistait aussi sur les objets simples (tant pis pour mes jolis gâteaux dinette) car elle disait que plus un objet est simple, plus il stimulera l'imagination.
RépondreSupprimerBen en fait, ce que nous disait sylvie c'est que même dans une collectivité, il n'y avait jamais bien plus de 4 enfants qui jouaient ensemble au même poste. C'est pour cela qu'on pouvait se limiter à 4 assiettes par exemple. Sinon pour la simplicité des jeux oui c'est ce qu'elle disait aussi. Merci pour tes commentaires.
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