Revenue d’outre-tombe ou presque
(petit voyage que je dois à une sympathique grippette) je suis enfin en mesure, après un léger retard, de vous proposer mon compte rendu sur la réunion Pikler qui a eu lieu le 8
février 2012 à Lyon au Collège Gilbert Dru. Cette soirée ouverte à tous
les professionnels de la petite enfance, ainsi qu’aux parents, avait pour thème :
JE JOUE, DONC JE PENSE ! Les enjeux du jeu dans la construction de la pensée.
Elle
était animée par Jean Robert Appel, éducateur de jeunes enfants et formateur à
l’association Pikler, et s’est déroulée en 2 temps. Tout d’abord, nous avons
visionné une vidéo dans laquelle nous avons pu observer des enfants dans leur
première année en activité libre, puis un débat a suivi durant lequel l’animateur
a approfondi le sujet et nous a donné la parole.
Les lyonnais avaient répondu présents
cette fois-ci contrairement à la précédente soirée spéciale « assistantes
maternelles ». La salle, sans être pleine comme un œuf, comme ce fut
parfois le cas pour d’autres réunions, était toutefois abondamment remplie
par un public varié puisque lors des discussions, nous avons pu entendre aussi
bien du personnel de crèches, que des assistantes maternelles ou des parents.
Jean Robert Appel a commencé par
se présenter. Je ne le connaissais pas. C’est la première fois que j’assistais
à une de ses conférences et je ne regrette pas le déplacement. C’est un homme
qui travaille sur Angers à mi-temps pour une association de 10 structures d’accueil
dans laquelle il est coordinateur pédagogique, et à mi-temps pour la formation
continue. Autant dire qu’il maîtrise son sujet. J’ai beaucoup aimé sa façon de
mener les débats, sachant mixer à la fois la simplicité et le « jargon
professionnel » afin que chacun trouve son bonheur dans ses propos.
Il nous a fait une brève
présentation d’Emmi Pikler insistant sur le fait que l’on cite souvent, pour
parler de son approche de l’éducation, de « Loczy » du nom de la rue
où était installée depuis 60 ans la
pouponnière qu’elle a dirigée (elle a fermé au printemps dernier) en oubliant
de parler de la pédiatre elle-même. Il a ainsi rappelé qu’au départ, elle a travaillé
avec les parents et a résumé succinctement son travail en nous livrant les deux
grandes idées fondamentales :
-
la liberté de
mouvement ;
- l’importance de la
relation établie entre l’enfant et l’adulte qui s’en occupe, basée sur la
qualité des soins.
Avant de passer au sujet du jour,
il nous a rappelé que les recherches faites à Loczy, ont toujours été réalisées
en s’adaptant à la vie des enfants et n’ont donc jamais été envahissantes et
dérangeantes pour les bébés « étudiés ».
Le sujet du film d’une demi-heure
que nous avons visionné, traitait de la question du jeu et de la construction
de la pensée à travers le jeu. Par l’observation des bébés, il nous donne des
pistes pour savoir quoi proposer aux enfants en prenant en compte cette
dimension. Jean Robert Appel nous fait remarquer qu’on peut se demander si l’on
doit écrire « jeu » ou « je » tellement les deux notions
sont entrelacées.
Pour bien cerner le sujet, il est
important de garder en mémoire que la naissance est toujours un bouleversement,
un changement de monde. A la naissance un bébé est toujours « prématuré »
du point de vue de l’espèce humaine. Il n’est pas terminé. Il est immature
(contrairement au bébé singe par exemple). Il n’est pas humanisé (ne fait pas
partie de la société), est dépendant de l’adulte et n’a pas conscience de lui-même.
On peut citer Winnicott qui disait que « le bébé n’existe pas sans les
bras qui le portent ». Pour se construire, il a besoin d’un environnement
relationnel et a besoin d’être actif. C’est ce que nous avons pu observer dans
la vidéo qui avait pour titre Jeu Action Penser, 1ère année de la
vie. Nous avons pu voir des bébés installés au sol avec leurs jeux ( hochets
très simples, tissus, bassines, seaux, petits coussins) dans une ambiance
sereine, calme, chaque geste de l’enfant nous étant expliqué afin que nous
puissions comprendre ce que celui-ci met en œuvre pendant son activité (mise en
place de la sensibilité proprioceptive) et ce que cela pourra lui apporter pour
l’avenir. Nous avons pu voir notamment dans le détail comment l’enfant apprend
à connaître sa main et à s’en servir. Plutôt que de nous donner une liste de jeux et
jouets que l’on peut donner aux enfants, cette vidéo comme toutes celles
proposées par l’association nous apprend l’importance de l’observation pour
accompagner l’enfant dans son développement, tout en sachant garder une
certaine distance pour conserver un lien d’émerveillement. Observer doit être
un plaisir et il faut s’ôter de la tête que l’on ne fait rien quand on observe.
On est en fait dans une relation avec l’enfant. L’enfant ne peut pas jouer seul
mais cela ne veut pas dire qu’il faut jouer avec lui. On doit être présent
autour du jeu de l’enfant. L’adulte est un étayage. Il est à noté une
corrélation entre l’activité autonome du bébé et la qualité des soins qu’il
reçoit. Nous pouvons d’ailleurs noter qu’un enfant très carencé ne joue pas.
La présence de l’adulte étant très
importante, il faut en tenir compte dans l’aménagement de l’espace qui est
fondamental pour préserver le jeu de l’enfant. Le bébé doit avoir un lien avec
les adultes, il ne doit pas y avoir de meubles qui ferment trop son espace. On
doit permettre à l’enfant d’aller au bout de son activité sans être dérangé. Il
faut faire en sorte de favoriser son activité mais sans intervention. C’est la
construction du schéma corporel de l’enfant qui est en jeu. Jean Robert Appel,
pour nous faire comprendre cette notion, nous a donné l’exemple très parlant de
l’apprentissage de la conduite : quand on apprend à conduire, il n’y a que
l’expérience et la prise en main du volant qui va nous permettre d’intégrer la
voiture à notre schéma corporel : le fait que quelqu’un d’autre le fasse à
notre place n’a aucun intérêt et ne nous est d’aucune aide. Pour le bébé qui
joue c’est la même chose. On doit ainsi éviter de lui mettre le hochet dans les
mains, ou de lui rapprocher un jeu qui se trouverait hors de portée. Souvent on
ne peut pas s’empêcher car on y met nos propres représentations comme la peur
de l’échec par exemple. Or, un enfant ne se met pas en échec lorsque cela vient
de lui. Il n’y a que si il répond à une demande de l’adulte que l’échec peut
intervenir, car pour nous le résultat est plus important que le processus. Or
Du point de vue de son développement, le plus important c’est le processus qui
importe plus que le résultat. D’autre part, on croit lui apporter de l’aide
mais on lui enlève le plaisir de trouver la solution. Le résultat est bien sûr
très important aussi puisqu’il viendra valider le processus mais les enjeux de
son développement se jouent dans le processus. Il est donc parfois nécessaire
de se freiner et l’observation peut nous aider à calmer nos angoisses. Il faut
savoir le laisser vivre les difficultés en l’accompagnant.
Lors des explications qui ont
suivi la vidéo, Jean Robert Appel nous a aussi permis d’aller plus loin dans l’observation
en nous parlant des différentes formes d’attentions que l’on pouvait voir chez
l’enfant en train de jouer. Cette attention peut revêtir 3 formes :
-
l’attention flottante
-
l’attention soutenue
-
l’attention concentrée
L’attention flottante est souvent
celle dénigrée par les adultes. L’enfant papillonne. Il est disponible au
monde. Dans l’attention soutenue, il s’arrête mais reste en lien avec le monde
extérieur. Dans l’attention concentrée, il est corporellement, psychiquement,
intellectuellement dans son activité du moment. Tout est mobilisé pour le jeu.
Le monde extérieur n’existe plus. Les 3 formes sont importantes et un enfant
qui va bien passe par ces 3 étapes.
On peut dire que l’enfant qui
initie et va jusqu’au bout de son activité construit une bonne image de lui. L’estime
de soi, c’est la conscience de soi donc la pensée de soi. Cela fait partie du
processus d’individualisation qui va emmener l’enfant au « je ». Il
faudra environ 3 ans pour qu’il puisse le faire. En jouant, l’enfant transforme
ses capacités (ce que l’on a à la naissance) en compétences. Les enfants
expérimentent, apprennent les structures, les notions,
les formes…. En jouant, ils se construisent des représentations : ils
travaillent les mathématiques ! L’expérience se fait par le corps avant de
passer au psychique. Quand un enfant de 12 ans fait ses devoirs, il ne nous
viendrait pas à l’idée de le déranger : de la même façon, nous ne devons
pas déranger un bébé qui joue. Quand il joue, il met des choses au travail, il
construit une pensée logique. Il apprend à apprendre. Intervenir dans le jeu, c’est
intervenir dans le « je » de l’enfant.
Pour être complet, nous avons
aussi parlé des jeux qui étaient à éviter ou dont on peut fort bien se passer. Dans
la vidéo, nous avons principalement remarqué que, pour l’enfant, passer les
objets d’une main à l’autre est un geste fondateur d’une importance capitale.
Dans ces conditions, il ne faut pas longtemps pour s’apercevoir qu’un jeu comme
le portique par exemple ne sera d’aucune utilité pour l’enfant puisqu’il ne
permet pas ce mouvement. De la même façon, on évitera aussi tout ce qui coince
l’enfant (le transat est ainsi à éviter). Le but recherché sera l’autorégulation
des émotions par la liberté de mouvement. On évitera les jeux trop compliqués.
D’eux-mêmes, les bébés vont vers la complexité. Ce sont les jouets simples qui
fournissent le passage à la complexité. « C’est l’enfant qui est
intelligent, pas le jouet ».
Pour les personnes qui s’interrogeraient
sur l’âge auquel on peut proposer ces séances de jeux libres aux bébés, Jean
Robert Appel nous indiquera que l’on peut poser un tout-petit sur un tapis pour
qu’il joue à partir du moment où il est capable de regarder et de joindre ses mains.
Petite notes personnelles pour
finir : parmi les sujets traités, certains ont bien entendu plus
particulièrement attiré mon attention. Ainsi je me suis ainsi aperçue que j’avais
encore des progrès à faire puisque bien que formée sur le principe, je suis
encore embarrassée lorsque j’entends qu’il ne faut pas intervenir même lorsque
l’enfant est en difficulté. L’animateur a bien insisté sur le fait qu’il
fallait dans ce cas, accompagner l’enfant par la parole mais ne pas intervenir
physiquement. C’est ce que je fais d’ailleurs, sauf lorsque j’estime que l’enfant
n’est plus dans ce que l’on pourrait appeler la difficulté mais dans l’angoisse. Pourtant à bien y réfléchir, je
suis sûre que bien souvent, ce que j’appelle angoisse serait jugé comme une
simple difficulté par quelqu’un de plus aguerri et sans doute que dans certains
cas, je me précipite trop tôt.
Lors des discussions il a été aussi demandé, si nous devions verbaliser pour l’enfant, les gestes, les émotions, les actions qu’il effectue. En gros, devons-nous lui parler de son jeu pendant qu’il joue. Pour Jean Robert Appel, les échanges avec l’enfant seront plutôt à réserver au moment des soins. Ils ne sont pas nécessaires lors du temps du jeu.
Autre piste qui me servira sans doute dans mes pratiques à venir, Jean Robert Appel a dit quelques mots sur la période d’adaptation qui pour lui, devrait plutôt se passer en présence des parents, afin que chacun puisse prendre ses marques. Instinctivement, je le sentais aussi comme cela puisque chez moi, le premier jour, les parents restent à mon domicile pendant l’adaptation mais c’est vrai que je pourrai renouveler l’expérience les jours suivants. C’est effectivement à étudier.
Lors des discussions il a été aussi demandé, si nous devions verbaliser pour l’enfant, les gestes, les émotions, les actions qu’il effectue. En gros, devons-nous lui parler de son jeu pendant qu’il joue. Pour Jean Robert Appel, les échanges avec l’enfant seront plutôt à réserver au moment des soins. Ils ne sont pas nécessaires lors du temps du jeu.
Autre piste qui me servira sans doute dans mes pratiques à venir, Jean Robert Appel a dit quelques mots sur la période d’adaptation qui pour lui, devrait plutôt se passer en présence des parents, afin que chacun puisse prendre ses marques. Instinctivement, je le sentais aussi comme cela puisque chez moi, le premier jour, les parents restent à mon domicile pendant l’adaptation mais c’est vrai que je pourrai renouveler l’expérience les jours suivants. C’est effectivement à étudier.
Voila pour mon petit compte rendu
personnel. Sachez que normalement, un compte-rendu plus officiel devrait être
publié par l’association dans la revue « les métiers de la petite enfance ».
Pour les lyonnais sachez aussi que l’association Pikler sera présente au SalonPrimevère à Eurexpo les 24 25 et 26 février 2012 avec notamment une conférence
de Miriam Rasse, directrice de l’association Pikler Loczy-France. On nous
annonce aussi une journée d’études très intéressante pour le 31 mars 2012 dont
le thème sera LOCZY : DE LA POUPONNIERE
A LA CRECHE (L'expérience de la crèche de l'Institut Pikler de Budapest, filmée
par Bernard Martino). Cette journée d’études se déroulera aussi au Collège
Gilbert Dru en présence de Bernard Martino.
Merci pour ce compte rendu ! Effectivement je trouve ça difficile de pas intervenir quand choupinette s’énerve d'être sur le ventre (généralement je viens vers elle et je l'accompagne pour qu'elle se retourne sur le dos)...
RépondreSupprimerLa maman de petite crevette...
Bravo! super compte rendu! Je n'étais pas à la conférence mais pour bien connaître "Loczy" je trouve votre retour tout à fait juste et bien exprimé! C'est toute ma pratique d'éducatrice de jeunes enfants et c'est toujours bon de savoir que ces idées cheminent... Merci, je partage!
RépondreSupprimerSuper ce compte rendu merci pour le partage
RépondreSupprimerC'est également ma pratique d'EJE en crèche . j'ai cependant une question : "on sait que le bébé commence dans un premier temps par se tourner sur le ventre mais au début le retour au dos n'est pas évident et l'enfant se met à pleurer. Comme le dit la maman de la petite crevette, il est difficile de laisser l'enfant ainsi, il semble vraiment en difficultés à ce moment là. Si je comprends bien, il ne faut pas l'aider à se retourner?"
J'ai également une remarque, ou plutôt un constat: il est vrai que l'observation passe encore beaucoup pour beaucoup de personnes (même des professionnels) pour ne rien faire et c'est bien dommage.
Bravo pour votre blog que j'ai découvert grace à Infocrèche.
Merci à vous. Il est bien évident que je m'autorise à intervenir et notamment dans le cas que vous décrivez. En fait c'est simple : j'interviens quand je sens le bébé en stress ! Je crois avoir décrit la "procédure" dans un autre article (je ne sais plus où...) Quand le bébé n'arrive pas à se retourner sur le dos, je m'approche de lui, je le préviens que je vais le retourner, et tout en le laissant au sol je le fais rouler du côté de l'épaule dont il se sert lui même pour se retourner. C'est seulement quand il se retrouve sur le dos que je le prend dans mes bras si cette manipulation ne l'a pas calmé.
RépondreSupprimerC'est vrai que l'observation n'est pas considérée. Il faudrait offrir à chaque personne intervenant dans la petite enfance un simple stage d'observation. Apprendre à observer pour se rendre compte des réels compétences du bébé !
Bonjour, je suis dans le milieu de la petite enfance, mais au Québec!!! Je trouve votre blog et votre compte-rendu vraiment intéressants! Ce sont des pratiques peu connus ici, mais beaucoup gagnerait à les découvrir. Pour ma part, je crois que je fais plusieurs de ces interventions, sans en être consciente.
RépondreSupprimermerci pour votre partage et continuez!! Caroline
je te remercie Cathy, ton rapport est d'une limpidité. je suis un peu perdue avec tout ce qui se lit et c'est comme dans les régimes, il y a des contradictions, il faut faire des choix d'orientation. il faut que j'attende 1 semaine entière avant de pouvoir aborder la suite avec la formatrice. le temps de me retourner le cerveau de l'autre côté !!!! je t'envie d'avoir passé déjà tous ces stades. merci du partage.
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